Avant tout, il est important de faire un distinguo : d’un côté, il y a Haruki Murakami, l’auteur, entre autres, des trois volumes de « 1Q84 » et, de l’autre, le Murakami qui nous intéresse ici, de son prénom Ryû, duquel je vous conseille fortement la lecture de « Les Bébés de la consigne automatique ».
Déjà, le titre, en lui-même, vous avouerez, est plutôt surprenant : « Les Bébés de la consigne automatique ». On a envie de savoir ce qu’il se cache derrière cette sorte de panneau publicitaire, non ? Le contenu, vous verrez, est de la même veine, car la plume de Ryû Murakami va vous entraîner, tour à tour, dans un tourbillon – oserais-je dire dans un tsunami ? – de laideurs, de poésies, de violences, de haines, de pornographies et de cruautés… toutes saupoudrées de maladies mentales ! Mais c’est magistralement bien écrit, et la tension du début du récit suinte jusqu’à la fin. Ce qui n’est pas donné à tous les auteurs.
Paru, en 1980, au Pays du Soleil Levant, « Les Bébés de la consigne automatique » est un livre prémonitoire sur un certain Japon de la fin du vingtième siècle. En effet, le narrateur nous propose un Tokyo fort éloigné de l’image aseptisée que nous, Occidentaux, avons en réserve dans notre imaginaire. Ici, Ryû Murakami nous plonge avec lui dans une société qui se délite peu à peu, corsetée dans des traditions qui n’ont plus aucune saveur. Plus aucune prise sur une jeunesse qui s’abîme inexorablement.
Les personnages principaux, Hashi et Kiku, sont les deux nourrissons en question. Abandonnés dans cette fameuse consigne automatique, par une mère maquillée, ces enfants auront toujours, pour la vie éternelle, une cicatrice purulente qui fera le tour de leur cœur. Quand Baudelaire écrivait : « Moi, mon âme est fêlée […] », Ryû Murakami crie, haut et fort, que la jeunesse nippone est à jamais emprisonnée dans un mal-être plus fort que tout.
Pour ma part, ce livre m’a beaucoup fait réfléchir, notamment sur mon propre travail d’écriture. Lorsque j’ai commencé à écrire mon premier roman, « Je fus un mauvais homme », en 2016, je me suis souvenu de l’ouverture de « Les Bébés de la consigne automatique », et du chaos continuel que Ryû Murakami avait réussi à faire ressentir durant les cinq cents pages de son récit. Exercice pas facile, pas facile du tout… Alors, fort humblement, j’ai préféré, me concernant, une narration déroutante sur, « seulement », 183 pages !
Cela étant dit, si vous aimez les histoires prenantes – de celles qui vous attrapent par les tripes ! – et qui ne vous lâchent plus, du premier au dernier chapitre, je vous conseille d’aller dévorer « Les Bébés de la consigne automatique » ! C’est un roman très fort, qui révulse et qui émeut.