Bizarrement, j’appris l’existence de cet écrivain américain en regardant un film. Le film ? Drugstore Cowboy, de Gus Van Sant, avec Matt Dillon et Kelly Lynch. Ce devait être vers 1990. Balayons cette information : à cette époque-là, j’étais toxicomane jusqu’au bout des ongles et mes veines transpiraient le citron ou le vinaigre. Ça dépendait de la pureté de l’héroïne que je m’injectais dans le corps. Balayons cette autre information me concernant : cette époque, Dieu soit loué, est révolue depuis une bonne douzaine d’années.
William S. Burroughs fait partie de ce que l’on appela la Beat Generation, avec ses comparses Jack Kerouac et Allen Grinsberg. Et, de nos jours, il est tenu pour un des plus grands écrivains américains. Mais revenons à son livre, Junky, et à tout ce qu’il représenta pour moi, en moi, une fois ma lecture terminée.
Je lus Junky en 1991, juste après ma sortie de prison, où je venais de passer 83 jours. Par la force des choses – la France, malheureusement, n’avait pas encore accepté la mise sur le marché d’un opioïde légalisé – j’avais décroché de l’héroïne. Mes crises de manque furent atrocement violentes et seuls ceux qui en ont, un jour, connu les affres, peuvent comprendre l’emploi de l’adverbe « atrocement ». Ça ne rigole pas du tout !
Mais, en 1991, Junky bouleversa la première partie de mon destin d’homme. Littéralement et dans tous les sens, comme aurait dit mon copain Arthur Rimbaud. Disons que je pris l’histoire de William Lee – le double romanesque de Burroughs – un peu trop au pied de la lettre, et que son existence d’errance, de privation et de fuite m’attira ! Oui, je le trouvai beau, le personnage principal, j’eus envie de rencontrer les mêmes gens bizarroïdes que lui, de traîner dans des lieux identiques, malfamés et sans issue.
Bien évidemment, cette histoire d’homme à moi se déroula en France : Normandie, Île-de-France, Bourgogne, Pyrénées, Bretagne, Paris. Je fis beaucoup pour rivaliser, à distance et avec un écart d’une quarantaine d’années, avec la réalité crue que William S. Burroughs relata dans Junky.
Aujourd’hui, je sais que Burroughs, né dans une famille bourgeoise, entama d’abord des études de médecine, à Vienne. Ses récits, comme je l’évoquais plus avant, sont tout sauf d’un style froid ou sans passion. Ce que je veux dire par là, c’est que cet écrivain, incomparable, réussit dans son écriture à décrire l’horreur, en se contentant de la décrire. Et son goût prononcé pour la chirurgie, la chimie du cerveau et les drogues, lui a permis, c’est incontestable, d’écrire dans une langue qui ne ment jamais.
Alors, si vous êtes assez armé pour faire la connaissance de William Lee, de ses geôles, physiques et psychologiques, je vous conseille de venir vous abreuver à l’encre de Burroughs. Attention, toutefois : le regard terriblement lucide de l’écrivain ne vous lâchera plus d’une semelle !
Junky, chez l’éditeur Pierre Belfond. Date de parution : 1972. Traduction : Catherine Cullaz et Jean-René Major.